Onze toxicos racontent leur misérable voyage devant
l'objectif de Nils Tavernier pour «Envoyé spécial». C'est «Drogue, dis-leur»,
sur France 2.
Plan large sur une ZUP anonyme dont on soupçonne les
sous-sols zonards. Plan serré. «La première fois que je me suis shooté, j'avais
14 ans. Non, à 14 ans, j'ai sniffé. J'avais 17 ans quand je me suis shooté. Ça
fait quatre ans que je suis vraiment dans la came. Mais, quand je me suis
défoncé la gueule, j'avais 12 ans.» Il a 20, 25 ans peut-être. Beau - pour combien
de temps? Les mots écorchent sa pensée engluée dans le brouillard. Sa voix de
vieillard bafouille encore: «J'ai commencé parce que la vie que je vivais ne me
plaisait pas.» Pour presque rien: la mère à la maison, la journée à l'école, le
soir avec les copains, les petits vols. «L'engrenage, quoi. J'étais dans une
cité.» Parcours d'un drogué ordinaire. Nils Tavernier, comédien et réalisateur,
pour l'avoir vécu, sait ce qu'il filme et pourquoi il filme. «Drogue, dis-leur»
(«Envoyé spécial», jeudi, 20 h 50, sur France 2) est un reportage sur, par et
pour les «toxicos». Court (vingt-deux minutes), sans psy, sans prof, sans juge,
sans moralisateur. Presque sans images.
«Ils» disent. Leurs visages crient. Leurs tics
hurlent. La maladie dénonce. La mort est là. A la sortie de «L. 627», de
Bertrand Tavernier (la vie quotidienne d'une brigade antidrogue), Nils a
parcouru la France pour débattre sur le film de son père. «J'ai constaté une
demande de la part des drogués: parler d'eux sans qu'ils soient considérés comme
des voleurs ou des hors-la-loi. Une demande urgente et systématique.» Nils a
connu la came à 13 ans, pratiqué l'héroïne très tôt. Pour rien, lui aussi. La
maison semblait juste un peu calme. «On communiquait par le silence.»
Suicidaire dès l'âge du premier amour. «J'adorais être sur le fil de la mort.
Vivre était aussi dangereux que mourir.» Il s'est arrêté un jour de 1985. Sur
le lit d'hôpital où sa dernière tentative l'avait jeté. En sortir lui a donné
le goût d'aider les autres à quitter la galère.
Devant la caméra, Karine, Mustapha, Bruno, Cécile,
Fred, David et les autres émergent de leur monde clos, silencieux, méprisé.
«Avant, je faisais du dessin, de la musique. J'ai plus rien. Mon appart' est
vide, j'ai rien envie de faire.» «Les jours où ça s'passe mal, je me dis, à la
limite, que je serais prêt à aller m'acheter 2 grammes de super-bonne came et à
me les foutre d'un seul coup dans la tronche. Pour arrêter.» «J'ai essayé déjà
de me suicider une vingtaine de fois, pendaison, cachets, essence»... En
filigrane: la solitude, l'appel au secours. «Il n'y a pas de structure pour les
gens comme moi.» Fred, le plus âgé, va mourir du sida. De son lit d'hôpital,
ses yeux sombres fixent l'objectif, c'est-à-dire les gosses qui vont regarder
l'émission. «Surtout, tombez pas dans la... tombez pas dans la poussière
blanche.»
A la projection de ce document, les 11 jeunes
interviewés ont reçu un uppercut à l'estomac. L'écran-miroir leur renvoyait
leur mort pro-grammée. Bruno, Cécile, Christophe viennent de décrocher.
PHOTO: Nils Tavernier. Un document sans juge ni
moralisateur.
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