La première chose que Dieu inspire à l'âme qu'il
daigne [to deign] toucher véritablement, est une connaissance et une vue toute
extraordinaire par laquelle l'âme considère les choses et elle-même d'une façon
toute nouvelle.
Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et
lui apporte un trouble qui traverse le repos [rest] qu'elle trouvait dans les
choses qui faisaient ses délices.
Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses
qui la charmaient. Un scrupule [scrupule, qualm] continuel la combat dans cette
jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur
accoutumée [usual, customary] parmi les choses où elle s'abandonnait avec une
pleine effusion de son cœur.
Mais elle trouve encore plus d'amertume [bitterness]
dans les exercices de piété que dans les vanités du monde. D'une part, la
présence des objets visibles la touche plus que l'espérance des invisibles, et
de l'autre la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des
visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son
affection; et la vanité des uns et l'absence des autres excitent son aversion;
de sorte qu'il naît dans elle un désordre et une confusion qu Š [deux lignes en
blanc].
Elle considère les choses périssables comme périssantes
et même déjà péries; et dans la vue certaine de l'anéantissement [ruin,
destruction] de tout ce qu'elle aime, elle s'effraye dans cette considération,
en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien, et que ce
qui lui est le plus cher s'écoule [to flow out, to pour out] à tout moment, et
qu'enfin un jour certain viendra auquel elle se trouvera dénuée de [lacking in,
devoid of] toutes les choses auxquelles elle avait mis son espérance. De sorte
qu'elle comprend parfaitement que son cœur ne s'étant attaché qu'à des choses
fragiles et vaines, son âme se doit trouver seule et abandonnée au sortir de
cette vie, puisqu'elle n'a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et
subsistant par lui-même, qui pût la soutenir et durant et après cette vie.
De là vient qu'elle commence à considérer comme un
néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son esprit,
son corps, ses parents, ses amis, ses ennemis, les biens, la pauvreté, la
disgrâce, la prospérité, l'honneur, l'ignominie, l'estime, le mépris,
l'autorité, l'indigence, la santé, la maladie et la vie même; enfin tout ce qui
doit moins durer que son âme est incapable de satisfaire le dessein [intention,
goal, purpose] de cette âme qui recherche sérieusement à l'établir dans une félicité
aussi durable qu'elle-même.
Elle commence à s'étonner de l'aveuglement [blindness]
où elle a vécu; et quand elle considère d'une part le long temps qu'elle a vécu
sans faire ces réflexions et le grand nombre de personnes qui vivent de la
sorte, et de l'autre combien il est constant que l'âme, étant immortelle comme
elle est, ne peut trouver sa félicité parmi des choses périssables, et qui lui
seront ôtées [(retirer) to take off, to remove from] au moins à la mort, elle
entre dans une sainte confusion et dans un étonnement qui lui porte un trouble
bien salutaire.
Car elle considère que quelque grand que soit le
nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité
que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur félicité au
monde, il est constant néanmoins que quand les choses du monde auraient quelque
plaisir solide, ce qui est reconnu pour faux par un nombre infini d'expériences
si funestes [disastrous, catastrophic] et si continuelles, il est inévitable
que la perte de ces choses, ou que la mort enfin nous en prive, de sorte que
l'âme s'étant amassé des trésors de biens temporels de quelque nature qu'ils
soient, soit or, soit science, soit réputation, c'est une nécessité
indispensable qu'elle se trouve dénuée de [lacking in, devoid of] tous ces
objets de sa félicité; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoi la satisfaire, ils
n'auront pas de quoi la satisfaire toujours; et que si c'est se procurer un
bonheur véritable, ce n'est pas se proposer un bonheur bien durable, puisqu'il
doit être borné [narrowminded] avec le cours de cette vie.
De sorte que par une sainte humilité, que Dieu relève
au-dessus de la superbe, elle commence à s'élever au-dessus du commun des
hommes; elle condamne leur conduite, elle déteste leurs maximes, elle pleure
leur aveuglement, elle se porte à la recherche du véritable bien: elle comprend
qu'il faut qu'il ait ces deux qualités, l'une qu'il dure autant qu'elle, et
qu'il ne puisse lui être ôté que de son consentement, et l'autre qu'il n'y ait
rien de plus aimable.
Elle voit que dans l'amour qu'elle a eu pour le monde
elle trouvait en lui cette seconde qualité dans son aveuglement [blindness],
car elle ne reconnaissait rien de plus aimable; mais comme elle n'y voit pas la
première, elle connaît que ce n'est pas le souverain [mf. monarch, sovereign]
bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connaissant par une lumière toute pure
qu'il n'est point dans les choses qui sont en elle, ni hors d'elle, ni devant
elle (rien donc en elle, rien à ses côtés), elle commence de le chercher
au-dessus d'elle.
Cette élévation est si éminente et si transcendante,
qu'elle ne s'arrête pas au ciel (il n'a pas de quoi la satisfaire) ni au-dessus
du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les
créatures, et ne peut arrêter son cœur qu'elle ne se soit rendue jusqu'au trône
[throne] de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos et ce bien qui
est tel qu'il n'y a rien de plus aimable, et qu'il ne peut lui être ôté que par
son propre consentement.
Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu
récompense l'habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures
ne peuvent être plus aimables que le Créateur, et sa raison aidée de la lumière
de la grâce lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu et
qu'il ne peut être ôté [(retirer) to take off, to remove from] qu'à ceux qui le
rejettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est
le perdre.
Ainsi elle se réjouit d'avoir trouvé un bien qui ne
peut lui être ravi [-e, delighted] tant qu' [as much as, as long as] elle le
désirera, et qui n'a rien au-dessus de soi. Et dans ces réflexions nouvelles
elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations
et des adorations profondes. Elle s'anéantit [to disappear, to vanish] en
conséquence et ne pouvant former d'elle-même une idée assez basse, ni en
concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts
pour se rabaisser [to belittle, to degrade] jusqu'aux derniers abîmes du néant,
en considérant Dieu dans des immensités qu'elle multiplie sans cesse; enfin
dans cette conception, qui épuise ses forces, elle l'adore en silence, elle se
considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés [to
reiterate, to repeat] l'adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et
l'adorer. Ensuite elle reconnaît la grâce qu'il lui a faite de manifester son
infinie majesté à un si chétif [sickly, puny] vermisseau [vermicelle, noodles];
et après une ferme résolution d'en être éternellement reconnaissante, elle
entre en confusion d'avoir préféré tant de vanités à ce divin maître, et dans
un esprit de componction [gravity, solemnity] et de pénitence, elle a recours à
sa pitié, pour arrêter sa colère dont l'effet lui paraît épouvantable [awful,
horrible, terrible]. Dans la vue de ces immensités.
Elle fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de
sa miséricorde [mercy, forgiveness] que comme il lui a plu de se découvrir à
elle, il lui plaise la conduire et lui faire connaître les moyens d'y arriver.
Car comme c'est à Dieu qu'elle aspire, elle aspire encore à n'y arriver que par
des moyens qui viennent de Dieu même, parce qu'elle veut qu'il soit lui-même
son chemin, son objet et sa dernière fin. Ensuite de ces prières, elle commence
d'agir, et cherche entre ceux Š
Elle commence à connaître Dieu, et désire d'y
arriver; mais comme elle ignore les moyens d'y parvenir, si son désir est sincère
et véritable, elle fait la même chose qu'une personne qui désirant arriver en
quelque lieu, ayant perdu le chemin, et connaissant son égarement, aurait
recours à ceux qui sauraient parfaitement ce chemin et Š
Elle se résout de conformer à ses volontés le reste
de sa vie; mais comme sa faiblesse naturelle, avec l'habitude qu'elle a aux
péchés où elle a vécu, l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à cette
félicité, elle implore de sa miséricorde [mercy, forgiveness] les moyens
d'arriver à lui, de s'attacher à lui, d'y adhérer éternellement Š
Ainsi elle reconnaît qu'elle doit adorer Dieu comme
créature, lui rendre grâce comme redevable, lui satisfaire comme coupable, le
prier [to pray] comme indigente [destitute, poor. / pauper].
No comments:
Post a Comment