Saturday, May 9, 2015

EdwardBunker. Entretien. L’Express. 28 Nov 2001.



  Le romancier américain a passé dix-huit ans de sa vie derriére les barreaux. Ses romans évoquent cette partie de son existence mais cette fois, avec L'Éducation d'un malfrat, c'est d'autobiographie qu'il s'agit. Histoire de mettre les faits au clair. Rencontre avec Lire.fr en vidéo.

1.      Pourquoi avez-vous décidé de rédiger votre autobiographie après avoir écrit un grand nombre de romans tirés de votre expérience carcérale?
2.      Mes trois premiers romans, hormis Les hommes de proie, sont semi-autobiographiques. Et justement, je ne voulais pas que mon fils voie ma vie romancée ainsi. Evoquant des faits que je n’avais pas commis, des situations que je n’avais pas connues. Tuer un flic par exemple. J’ai donc décidé d’écrire mon autobiographie pour que Brendan, qui n’est encore qu’un petit garçon, entende les informations de la bouche même de celui qui les a vécues.
3.      Avez-vous préféré cacher certaines choses?
4.      Tout ce que je voulais c’était dire la vérité, sans rien ajouter. C’est d’ailleurs mon objectif littéraire en général. Mais pour être tout à fait honnête, il y a des choses que je n’ai pas dites’ car je n’en étais pas fier. Sachez cependant que je parle dans ce livre de situations pires que celles que j’ai dissimulées. Mais, j’en ai caché certaines, c’est vrai.
5.      Votre autobiographie s’achève au moment où Aucune bête aussi féroce, votre premier roman, va enfin être publié, vous êtes alors en prison. Le ton semble nostalgique, comme si ce qui vous arrive de bon vient trop tard, était-ce votre sentiment alors?
6.      Tout cela a pris tellement de temps. J’aurais dû être comme cela à quarante-cinq ans. J’ai écrit pendant dix-sept ans, six livres qui n’ont pas été publiés. Tout cela fut trop long, c’est arrivé trop tard.
7.      Pourquoi avez-vous ajouté à votre autobiographie un post-scriptum que vous situez aujourd’hui à Paris?
8.      Je voulais passer d’un extrême à l’autre : raconter ce que j’avais vécu, finir sur la prison puis, conclure sur la vie que je mène aujourd’hui et que j’aime, avec la femme que j’aime.
9.      Avec tout ce que vous avez vécu, comment définissez-vous votre adolescence et que souhaiteriez-vous pour votre fils lorsqu’il sera un adolescent?
10.   Je suis passé directement de l’enfance à l’âge adulte. Je n’ai pas eu d’adolescence puisque, à quatorze ans, je me suis retrouvé jeté en prison avec des criminels adultes et dangereux. J’aimerais que mon fils ait une belle adolescence, mais vous savez, la vie c’est comme une huître. Il suffit qu’on lui glisse un grain de sable, un corps étranger pour que la perle se constitue. Pas de corps étranger, pas de perle. Pour l’homme c’est la même chose, si rien d’inattendu ne se glisse, on fait plus ou moins partie de la masse et ce n’est guère intéressant. Je voudrais que mon fils puisse s’opposer à certaines forces extérieures pour devenir solide et être capable d’affronter la vie.
11.   Que pensez-vous du film Animal Factory, adapté de votre roman?
12.   Selon les critères du cinéma américain, il y avait peu d’argent pour le faire. Je trouve qu’un beau travail a été effectué pour mettre en relief la psychologie des personnages et les relations entre les hommes. Mais cela reste trop politiquement correct. Par exemple, on ne sent pas assez les tensions raciales. Mais il reste l’un des meilleurs films qui sache mettre en valeur la psychologie et les émotions des taulards. On comprend bien que le gardien est le copain du prisonnier et qu’il fait ce qu’il peut pour lui.
13.   Vous y jouez un petit rôle. Est-ce pour donner votre bénédiction au film?
14.   Pas du tout. Je voulais travailler un jour ou deux comme acteur pour toucher mon chômage et avoir mon assurance santé. Je dois faire l’acteur de temps à autre pour ne pas perdre mes avantages depuis l’époque de Tarantino et de Reservoir Dogs.
15.   Justement, ce rôle de Mister Blue dans le film de Tarantino ne fait-il pas de l’ombre à l’écrivain Bunker?
16.   Je ne suis pas connu comme acteur et on ne m’arrête pas dans la rue pour me demander des autographes. Sauf en Angleterre. Non, l’acteur Bunker ne fait pas d’ombre à l’écrivain. Je suis d’abord et essentiellement un écrivain. Je le revendique.
17.   Etes-vous retourné à la prison de Saint-Quentin où vous avez passé les plus rudes années de votre vie?
18.   J’y suis retourné au moment de la préparation du film Animal Factory. Tous les gros bâtiments d’autrefois sont restés, mais on a ajouté des clôtures et des barrières. A mon époque, en 1951, il y avait donc ces grands bâtiments avec des passerelles ouvertes à l’intérieur. Il y avait un toit et au-dessus encore, un second niveau qui comportait une trentaine de cellules, la moitié pour le mitard et l’autre pour le couloir de la mort. Aujourd’hui, ce fameux bâtiment du second niveau est rempli par plus de sept cents hommes qui attendent leur condamnation. La peine capitale a été votée à nouveau en 1975, on en a exécuté deux ou trois pas plus. Les autres n’ont rien d’autre à faire qu’à attendre. Il n’y a plus ni eau chaude, ni eau froide dans les cellules. Ils passent vingt-trois heures sur vingt-quatre enfermés. Un ou deux condamnés à mort continuent d’arriver chaque semaine et ça se remplit, se remplit, se remplit. Ce n’est plus comparable avec l’époque où j’y étais, où je pouvais me promener, aller dans la cour, travailler. C’était le bon temps .
19.   Et qu’avez-vous ressenti?
20.   Je n’avais qu’une hâte : revoir le panneau Hollywood et rentrer chez moi.
21.   Vous en rêvez parfois?
22.   Je n’y pense jamais. Je connais un homme qui n’a passé que deux ans en prison et qui en a fait son image de marque pendant plus de trente ans. Pas moi.
23.   Vous n’y pensez pas, mais vous écrivez sans cesse sur la prison, y aura-t-il encore un livre sur ce thème?
24.   Au moins un. Mais deux livres sont prêts à être tournés : Les hommes de proie et La bête au ventre. Les scénaristes ont changé des choses, ajouté un peu d’espoir. On verra même Sharon Stone amoureuse d’un taulard. Mais tout ça, ça fait de l’argent, c’est ce qui compte. Peut-être que je n’écrirai plus lorsque je serai riche. Je m’occuperai de ma femme, de mon fils. Je viendrai à Paris. J’adore venir à Paris et faire des photos de la ville.

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