Tuesday, February 17, 2015

Linklater. Entretien. Cahiers du Cinéma. Mai 2013.



Avant même que l’adresse de ses bureaux ne soit sortie de notre bouche, le chauffeur de taxi répond: «Ah, vous allez voir Linklater?» À Austin, Richard Linklater est incontournable. L’impact sur sa ville d’adoption est concrète – il a fondé la Austin Film Society, ciné-club et fondation d’aide au cinéma locale, ainsi que les Austin Film Studios, vaste complexe de tournage – mais existe aussi de manière impalpable. Son film Slacker a donné une image inoubliable d’Austin comme ville décontractée, excentrique, carrément dingue, mais a aussi créé un modèle de cinéma local farouchement indépendant et rentable. Sa présence ici a attiré nombre de cinéastes, dont son ami Robert Rodriguez qui a bâti ses propres studios à côté des Austin Film Studios. S’il n’a pas directement participé à la création de South by Southwest Film, le festival est une période faste pour Richard Linklater, pendant laquelle il accueille ses amis venus d’ailleurs, voit les films de ses émules et présente souvent son dernier-né. Cette année, c’était Before Midnight, troisième film de la série engagée par Before Sunrise il y a dix-huit ans.

1.      Quelle est l’histoire des studios d’Austin?
2.      À la fin des années 90, ils ont bâti un nouvel aéroport au sud de la ville. Avec mes amis, nous avons demandé à la municipalité de nous laisser occuper l’ancien pour en faire des studios pour l’industrie de cinéma locale. Les hangars font de bons plateaux de tournage. Et ils ont accepté! C’est là où Austin est différente. La plupart des villes nous auraient ri au nez. Le site appartient toujours à la municipalité, mais il est géré par la Austin Film Society, que j’ai fondée en 1985. Beaucoup de films ont été tournés ici, dont True grit des frères Coen et Boulevard de la mort de Tarantino. Pour un type qui a fait tant d’efforts pour construire ce studio, je n’y ai tourné qu’une seule journée! Je ne tourne pas beaucoup en studio. Mais c’est bon pour l’industrie locale, même si je n’en ai pas profité moi-même.
3.      Vos débuts remontent à la création de la Austin Film Society?
4.      Je tournais déjà des films, mais je faisais encore mon apprentissage. En fait, je venais juste de commencer mon premier long métrage, It’s impossible to learn to plow by reading, une espèce de road-movie en super 8 qu’on peut trouver sur le DVD Criterion de Slacker. La première séance de la Austin Film Society s’est déroulée deux semaines après mon retour d’une période de tournage. La narration de It’s impossible... était oblique, c’était mon truc à l’époque. Mais sur le suivant, Slacker, j’ai exprimé l’écrivain qui était en moi. Une fois que mes personnages se sont mis à parler, ils n’ont plus jamais arrêté! Mais en 1985, j’était tout simplement avide, je voulais voir beaucoup de films. J’ai fondé la Film Society pour moi et quelques amis.
5.      Il n’y avait pas de cinémathèque à Austin, à l’époque?
6.      Il y avait just une programmation à l’Université du Texas. Ils montraient un film par réalisateur. Je voulais savoir où étaient les vingt ou trente autres. Alors j’ai commencé à faire des rétrospectives avec une quinzaine de films par auteur. À l’époque, c’était du 16 mm, on pouvait faire les projections dans le salon. Les copies arrivaient et on les montrait le soir même. Je vivais dans une atmosphère de ciné-club. On trouve ça tout au long de l’histoire du cinéma, surtout quand une nouvelle vague apparaît ici ou là: un groupe de jeunes apprentis cinéastes qui écrivent sur le cinéma ou programment des films, des cinglés de cinéma qui ne savent pas encore quelle forme prendra leur passion.
7.      Vous étiez entouré de cinéphiles dans votre enfance?
8.      Pas du tout. Quand j’était gosse, à Houston, je pensais être un écrivain. J’ai commencé à vraiment voir des films quand j’avais 20 ans. Je faisais des études d’anglais, mais une fois par semaine un prof organisait un ciné-club en VHS et on parlait des films. J’ai commencé à les voir autrement.
9.      Vous êtes toujours actif dans la programmation de la Film Society?
10.   Je suis toujours directeur artistique, je supervise tout. Vingt-sept ans plus tard, je n’ai toujours pas lâché les rênes. Si je pense qu’on fait une bêtise, je le dis, mais je travaille avec des gens géniaux. Nous avons beaucoup d’autres activités: l’assistance aux artistes, les bourses aux cinéastes locaux, des programmes éducatifs dans les écoles. C’est immense. Mais pour moi, l’essentiel c’est de montrer des films. Presque tous les jeunes cinéastes d’Austin passent par la Film Society. La plupart ont reçu des bourses de notre part. On est un peu comme une «mangeoire» pour eux. Brian Poyser, notre ancien directeur pour l’assistance aux artistes, est un bon exemple: il a étudié le cinéma à l’Université du Texas, réalisé quelques films, travaillé pour la Film Society et, aujourd’hui, il a un excellent long à South by Southwest, The Bounceback.
11.   À quel moment Austin a commencé à attirer autant de jeunes cinéastes?
12.   Cela s’est fait progressivement. La ville a beaucoup changé ces vingt ou trente dernières années, sans doute à cause des festivals de cinéma – South by Southwest, le Austin Film Festival, ainsi que des festivals de films latins ou gays et de courts métrages. C’est aussi une communauté très solidaire. On est les seuls à donner des bourses pour le cinéma – même si les sommes ne sont pas énormes. Mais ça fait passer le message qu’on habite dans une communauté pour qui c’est important. Ou tout simplement le fait qu’il y a une communauté! C’est ce que je cherchais en venant à Austin à 22 ans. J’habitais à Houston, je ne connaissais personne ici, mais je sentais qu’Austin était une ville où je pourrais développer ma passion.
13.   Vous n’avez jamais voulu vivre à Los Angeles?
14.   Jamais! Je n’aime pas la façon dont fonctionne mon cerveau quand je suis à Los Angeles. C’est un problème de mentalité. Je suis souvent à New York, mon autre ville. Mais le cinéma indépendant est n’importe où. J’essaie d’éviter les villes vouées à l’industrie du cinéma, où on parle toujours business. C’est très fatigant psychologiquement.
15.   Un ami d’Austin de votre génération m’a dit que Slacker était responsable de la transformation d’Austin, petite ville hippie de 200 000 habitants, en ville branchée de 800 000 habitants.
16.   Un seul film a quadruplé la population? (Rires.) Slacker a certainement eu un impact sur le cinéma ici, par le seul fait qu’un film d’ici ait pu décrocher une distribution nationale et ait eu un impact culturel. C’était nouveau pour Austin, à l’époque. On avait déjà tourné des films ici, mais surtout des films de genre ou d’horreur comme Massacre à la tronçonneuse. Le fait qu’on pouvait y faire un film indépendant qui ne parlait pas de cow-boys et qui donnait une autre image du Texas a vraiment eu un impact. Certes, Slacker donne une image d’Austin qui a attiré un certain genre d’individus – pas 600 000, mais quelques milliers! Le film a mis Austin sur la carte du weird. Mais ce n’est pas moi qui ai créé ça, j’ai simplement reflété ce que j’y voyais. Et c’est à deux tranchants. On me dit parfois: «Si jamais Austin me manque, je regarde Slacker.» Mais d’autres me disent au contraire: «Quand j’ai envie de revenir à Austin, je regarde Slacker et ça me rappelle tout ce que j’y déteste!»
17.   Le mot «slacker» est même rentré dans le dictionnaire vers cette époque.
18.    C’est ça, un ou deux ans plus tard. Le film faisait partie d’un même «movement» avec Nirvana, le grunge... Il participait de quelque chose. Je savais que c’était un peu idiot d’en faire un grand mouvement et de l’intellectualiser. Mais il y avait certainement quelque chose. Au départ je voulais juste faire un film. J’espérais le montrer dans quelques festivals. J’avais une vague idée de le vendre à la télé – et ça s’est fait, la télé allemande l’a acheté, ce qui m’a permis de le terminer. Ça n’aurait pas été réaliste d’avoir beaucoup d’attentes: le film n’a pas d’histoire!
19.   Est-ce que le succès de Slacker a rendu les choses faciles?
20.   Oui, et à l’époque Hollywood prenait encore des risques. Tous mes films après Slacker ne pourraient plus être produits aujourd’hui. Pour Dazed and Confused, un type dans un bureau m’a réellement dit: «Très bien, on va te donner 6 millions pour réaliser cette comédie bizarre sur des ados...» Le chef d’Universal n’avait pas vu Slacker mais il avait lu dans Variety que le film avait gagné de l’argent, et puis Dazed and Confused semblait commercial, même s’il ne l’était pas. Aujourd’hui je pense que je n’arriverais même pas à le financer en tant que film indépendant: il n’y a pas de vedettes et les ventes internationales sont basées sur les acteurs, c’est une espèce de formule à la con. Je suis né au bon moment, ça fait longtemps que ces portes-là se sont fermées.
21.   Les studios étaient contents de Dazed and Confused?
22.   Non. On était sur le point de commencer le tournage, tout le monde était enthousiaste à Hollywood. Et puis le chef du studio a vu Slacker et ça a jeté un froid sur ma production jusqu’à la fin du tournage. Ils ont décidé que j’étais une espèce de petit mec prétentieux et qu’ils ne me faisaient pas confiance. C’était angoissant, ils étaient vraiment contre moi. Mais j’ai terminé le film. Ils l’ont largué chez un petit distributeur, déterminés à ce que ce ne soit pas un succès. Mais finalement, le studio a gagné beaucoup d’argent avec ce film. Pas moi. Mais j’aime Hollywood. Je n’ai aucun problème avec eux. Je pense juste qu’ils ont compris ce qu’ils font, ils ont réglé leur business model, et j’ai eu la chance de pouvoir l’exploiter à un moment donné.
23.   Entre It’s impossible to learn to plow by reading, film structurel en super 8 où vous occupiez tous les postes, et Rock Academy, une comédie hollywoodienne à succès avec Jack Black, ça fait un drôle d’écart en une
quinzaine d’années...
24.   En effet. En même temps, la chambre de Jack Black dans Rock Academy, c’est la chambre ronde de It’s impossible. C’est le même personnage, aussi: quelqu’un de jeune, qui a une passion mais ne trouve pas sa place dans le monde. Et j’ai toujours flirté avec la comédie, même si j’étais le premier surpris quand j’ai va que Slacker était drôle. C’était la première fois que je faisais rire. Quand j’étais écrivain, mes pièces étaient drôles, mais je ne pensais pas que j’étais drôle en tant qu’individu. J’avais une vision sérieuse, plutôt tragique du monde. Pour Rock Academy, j’étais à une étape dans ma carrière où je pouvais prendre ce risque – avant je ne pouvais pas, pendant des années j’avais dit non à toutes les propositions. Là, je savais que je pourrais toujours revenir aux films à petits budgets. C’est le problème pour les cinéastes aujourd’hui: ils font leur deuxième plutôt que leur huitième long avec un budget de 30 millions de dollars, pour un studio. Quand je suis arrivé à ce stade, j’étais déjà chevronné, j’avais confiance en moi. Car si les studios sentent une faiblesse, ils te bouffent. Le film que j’ai réalisé avant Rock Academy avait un budget de 100 000 dollars, et celui d’après de 2,7 millions. Pour moi les films de studio ne sont pas comme la Ligue des champions. Certains y accèdent et pensent qu’après, faire un petit film serait un pas en arrière. Pas moi.
25.   Quand vous avez réalisé Before sunrise, pensiez-vous que ce serait une trilogie?
26.   Non, je n’aurais pas pu l’imaginer. C’était une belle expérience avec Ethan et Julie il y a dix-huit ans. Le risque, c’était de faire le deuxième à Paris. C’était effrayant, parce que si on le retait, on foutait en l’air le premier. Personne ne nous demandait de suite. Je dis toujours que Before Sunrise est le film le moins rentable à avoir donné lieu à une suite. Pour le troisième, c’est encore autre chose. Avec Julie et Ethan, nous formons un trio, un tout. J’avais écrit un premier scénario en onze jours, et nous nous sommes enfermés à Vienne pendant trois semaines. C’est ma méthode, surtout pour la trilogie, j’ai besoin de la collaboration des acteurs. On passe des jours à écrire trente pages et on en jette vingt-neuf et demie. C’est un processus assez intense, mais l’écriture est essentielle. Ensuite je répète beaucoup, je ne vois pas comment les autres peuvent s’en passer. Je suis toujours en train d’essayer de comprendre comment je vais tourner la scène, quel va être le ton. Ma formation d’acteur m’a donné le goût des répétitions. Soudain un mot qui marchait sur la page ne fonctionne pas dans la bouche de l’acteur. Et j’aime apprendre à connaître les gens que j’ai engagés et voir ce qu’ils peuvent ajouter au film.
27.   Vous avez déclaré que le premier film était basé sur une nuit que vous avez vécue. Est-ce que la femme qui a inspiré le film vous a contacté suite à sa sortie?
28.   Bonne question. J’ai bien dit ça, je suis un des rares réalisateurs à admettre que mes films sont autobiographiques. Pas comme Woody Allen! À l’époque, j’avais raconté que le film était basé sur une nuit que j’avais passée à me promener avec une fille à Philadelphie. Le dernier film lui est dédié. Elle ne les a jamais vus. C’est une histoire étrange. Il me semblait bizarre qu’elle ne se manifeste pas. Puis, il y a quelques années, une femme m’a contacté et m’a dit qu’elle avait connu une fille qui avait passé une nuit avec un cinéaste du Texas... Elle avait compris que c’était elle en voyant les films et m’appelait pour me dire qu’elle était morte. C’était tellement choquant. Elle est morte environ un mois avant qu’on arrive à Vienne, elle n’était même pas en vie lorsqu’on tournait le premier. Je l’ai appris entre le deuxième et le troisième. J’ai appelé Ethan pour lui raconter ça et il a constaté que sans elle, on ne se serait peut-être jamais connus, lui et moi. C’était une belle façon de réagir: tout ce qu’on fait dans ce monde peut avoir un impact positif ou négatif, sans même qu’on le sache.
29.   C’était intimidant pour vous en tant que cinéphile de filmer à Paris?
30.   C’était magique. Je vivais dans le Quartier latin et je me rendais au plateau à pied, pensant à tous mes cinéastes préférés qui avaient filmé ici. Mais c’est une ville difficile pour tourner – il y a plein de réglementations. Il vaut sans doute mieux tourner sans permis, mais nous étions trop «officiels» pour nous passer de permis. Mais l’important, c’est l’esprit des lieux. Et je suis fier de ne pas avoir montré la tour Eiffel.
31.   Pouvez-vous nous parler de Boyhood, le film que vous tournez au Texas sur une période de douze ans?
32.   Je voulais faire un film sur l’enfance. D’habitude il faut choisir un moment, comme dans les 400 coups, mais je voulais dire quelque chose sur toute une enfance. Je pensais écrire un roman. J’ai commencé à l’écrire et j’ai eu cette idée de filmer un petit peu chaque année, presque en passant, mais de raconter une vraie histoire. Elle a un peu l’architecture de ma propre vie, mais ça se passe aujourd’hui. Je viens juste de tourner un autre épisode le week-end dernier. Le gamin qui joue le rôle principal avait 7 ans quand on a tourné le premier épisode en 2002, aujourd’hui il en 18. On va tourner pour la dernière fois l’année prochaine. Il joue un personnage qui a un an de moins que lui, donc le film se terminera quand il quitte le lycée et part à la fac. C’est le projet le plus bizarre et le plus intéressant de ma vie.
33.   Vous connaissez la fin de l’histoire?
34.   Oui. J’ai le dernier plan en tête depuis neuf ans. On fait la même chose chaque année: on monte les nouvelles séquences, on regarde le tout et puis on ajuste par rapport à ce qu’on a vu. C’est la première année où la fin semble proche, tout le monde sur le plateau pouvait l’imaginer: plus qu’une année! Et ce gosse qui ne savait quasiment pas lire est devenu comme Ethan Hawke! Au fut et à mesure qu’il grandissait, on intégrait sa personnalité au personnage. Je n’ai jamais rien mis dans le film qu’il n’ait vécu, je n’allais pas lui imposer quelque chose. Quand il avait 14-15 ans, je voulais tourner une sortie du vendredi soir. Je lui ai demandé s’il prendrait une bière dans ces cas-là, et il m’a répondu qu’il préférait l’herbe. Très bien, le personnage fume un joint avec ses potes... Cette année il ressemble beaucoup à un personnage de Dazed and Confused. Le film durera deux heures et demie. On verra le garçon grandit en une séance de cinéma. Ou, comme dit Ethan: ils grandissent, on vieillit...

Entretien réalisé par Clémentine Gallot et Nicholas Elliott à Austin, le 12 mars.

Au commence était Slacker
Slacker est sans doute le film américain le plus important à ne pas être sorti en France. Distribué aux États-Unis en 1991, il participe à un moment charnière du cinéma indépendant, faisant suite à la première éclosion des années 80 (Spike Lee, Jim Jarmusch) et permettant pour un bref moment tous les espoirs: Sexe, mensonges et vidéo, premier long de Steven Soderbergh, 27 ans, gagne la Palme d’or en 1989, Roger et moi, documentaire militant du nouveau venu Michael Moore, est acquis par la Warner pour 3 millions de dollars, et Slacker, autoproduit par Richard Linklater avec 23 000 dollars pour et avec la communauté cinéphile d’Austin, devient un phénomène national, définissant une génération aux côtés de Nirvana et du bien nommé roman de Douglas Coupland Génération X.
Un slacker, c’est un flemmard, mais pas seulement. Le slacker type tel qu’il se profile à travers les monologues qui se succèdent au long du film de Linklater est un excentrique et un descendant du Bartleby d’Herman Melville: certes pas un révolutionnaire, mais un insoumis. Avec un poil dans la main. Deux ans après la sortie du film, le mot «slacker» rentre dans le Oxford American Dictionary.
«L’action» de Slacker se déroule sur une période de vingt-quatre heures à Austin. Près d’une centaine de personnages défilent sans jamais entamer de récit au sens traditionnel du terme. La caméra dérive dans le quartier universitaire, accordant quelques minutes aux théories d’un spécialiste de l’assassinat de JFK avant de s’attacher à un apprenti Dostoïevski, puis à un dévaliseur de distributeur de soda. Elle rencontre une illuminée vendant un frottis vaginal de George Bush père, et même, dans le rôle de la «cousine grecque», Athina Rachel Tsangari, future réalisatrice d’Attenberg et coproductrice de Before Midnight. Si la caméra est volage, elle est tout sauf flemmarde: l’ingéniosité des passages de relais d’un personnage à l’autre et l’utilisation des travellings élèvent Slacker bien au-delà du film à dispositif ou du film fauché. Malgré son budget minuscule, Linklater avait l’intelligence et le talent pour voir grand: le premier passage de relais est filmé en plan-séquence avec une grue, évoquant plus La Soif du mal que Cassavetes. Si la parole coule à flots dans Slacker, la mise en scène la canalise.
En ressort l’image indélébile d’une drôle de ville un peu endormie où l’intelligence et l’excentrisme vont de pair. D’aucuns present que Slacker a amorcé le processus qui en vingt ans a transformé Austin d’un paradis pour hippies rivalisant avec Brooklyn ou Portland en capitale hipster des États-Unis. L’influence de Slacker est longue. Ronald Bronstein, auteur de Frownland et autre spécialiste de l’hystérie bavarde, disait en 2011 dans les Cahiers que l’emprise qu’avait eu sur lui Slacker ne s’était jamais relâchée. Hommage ultime, la Austin Film Society célébrait le vingtième anniversaire de la sortie de Slacker en produisant Slacker 2011, remake-mise à jour du film de Linklater par vingt-quatre cinéastes d’Austin, où les vélo taxis remplacent les voitures et où l’excentrisme et visiblement plus poussé – car depuis Slacker, Austin a une réputation à défendre.

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